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quittait pas, ni moi non plus ; M. de Saint-Florentin vint la voir plusieurs fois, et le contrôleur-général ainsi que M. de Rouillé ; mais M. de Machault n’y vint point. Madame la duchesse de Brancas était aussi très-souvent chez nous. M. l’abbé de Bernis n’en sortait que pour aller chez le roi ; et avait les larmes aux yeux en regardant Madame. Le docteur Quesnay voyait le roi cinq à six fois par jour. « Il n’y a rien à craindre, disait-il à Madame : si c’était tout autre, il pourrait aller au bal. » Mon fils alla le lendemain, comme la veille, voir ce qui se passait au château, et il vint nous dire que le garde-des-sceaux était chez le roi. Je l’envoyai attendre ce qu’il ferait à la sortie. Il revint courant, au bout d’une demi-heure, me dire que le garde-des-sceaux était retourné chez lui suivi d’une foule de peuple. Madame, à qui je le dis, s’écria en fondant en larmes : Et c’est là un ami ! M. l’abbé de Bernis lui dit : « Il ne faut pas se presser de le juger dans un moment comme celui-ci. » Je retournai dans le salon une heure après, lorsque M. le garde-des-sceaux entra. Je le vis passer avec sa mine froide et sévère ; il me dit : Comment se porte madame de Pompadour ?..... Je lui répondis : Hélas ! comme vous pouvez l’imaginer ; et il entra dans le cabinet de Madame. Tout le monde sortit ; il y resta une demi-heure. M. l’abbé revint, et Madame sonna. J’entrai chez elle, et il me suivit. Elle était en larmes. « Il faut que je m’en aille, dit-elle, mon cher abbé. » Je lui fis prendre de l’eau de fleur d’orange dans un gobelet d’argent, parce que ses dents claquaient. Ensuite elle me dit d’appeler son écuyer. Il entra, et elle lui donna assez tranquillement ses ordres pour faire tout préparer à son hôtel à Paris, et dire à tous ses gens d’être prêts à partir, et à ses cochers de ne pas s’écarter. Elle s’enferma ensuite pour conférer avec l’abbé de Bernis qui sortit pour le conseil. Sa porte fut ensuite fermée, excepté pour les dames de son intime société, M. de Soubise, M. de Gontaut, les ministres et quelques autres. Plusieurs dames venaient s’entretenir chez moi, et se désespéraient. Elles comparaient la conduite de M. de Machault avec celle du duc de Richelieu à Metz. Madame leur