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comme elle, imite son geste lorsqu’elle prend du tabac ; et si la pauvre dame répète par hasard un mot qui lui soit familier, aussitôt le petit singe invente une phrase fort raisonnable pour placer ce mot favori ; nous rions toutes, et la rusée garde son sérieux, comme si elle était étrangère à ce désordre. Tous ces petits tours de passe-passe, qui m’avaient d’abord séduite, ont souvent causé de grandes rumeurs. La dame institutrice allait se plaindre à madame la Directrice ; mais l’esprit de corps nous empêchait de dénoncer la coupable. Madame la Directrice approuve cette coutume de ne pas se trahir entre compagnes, et dernièrement elle nous disait : « N’imitez pas le mal, Mesdemoiselles ; mais ne le dénoncez pas. Assez d’yeux clairvoyans veillent sur vous et le découvriront : la délation entre camarades est un vice, et les délateurs sont voués au mépris de la société. »

Je ne dénoncerai certainement jamais cette jeune personne, mais j’ai cessé d’avoir aucune liaison avec elle. Elle a failli déjà m’entraîner dans bien des fautes auxquelles je n’ai échappé que par miracle ; et tout à l’heure, lorsque les élèves de ma classe me témoignaient leur joie pour la bonne nouvelle que j’ai reçue, elle a bien fait voir par son indifférence qu’elle ne m’avait jamais recherchée que pour avoir en moi une compagne de folie.

Madame la Directrice m’a fait inviter ce matin à dîner, pour me donner la satisfaction de me réjouir avec elle de ton bonheur ; j’y suis allée fort joyeu-