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Plusieurs fois nous nous parlâmes à l’oreille et sous l’éventail. Le colonel fit quelques remarques plaisantes ; Rosalie éclata de rire. Au milieu de ces folies, j’avais un sentiment d’inquiétude qui aurait pu m’avertir de mes torts ; mais toute cette joie, ces rires, et je crois aussi le bruit, m’avaient étourdie. Heureusement la musique cessa, la chaleur devint moins forte, et M. de Mirbot proposa une promenade sur l’eau. Une belle cascade naturelle, qui tombe au fond d’un bois de pins et de mélèzes, forme une rivière qui environne le château ; il y avait au bord de l’eau plusieurs barques fort bien décorées, nous y montâmes tous. Les demoiselles Buret, les deux aides-de-camp, le colonel, mon frère et moi, nous nous trouvâmes réunis dans la même, et là, comme dans le salon, nous eûmes, je l’avoue, un assez mauvais ton. Le colonel voulut se divertir à nous effrayer : il se mit au milieu du bateau, et commença à peser tantôt sur un côté, tantôt sur l’autre. Le bateau penchait à mesure ; nous criions, moitié en riant, moitié de peur, et nos craintes l’amusaient beaucoup. Il imagina ensuite d’autres plaisanteries ; il jeta brusquement les rames dans la rivière, et couvrit d’eau le général et ma mère dont la barque touchait à la nôtre ; ton père le lui rendit ; les aides-de-camp s’en mêlèrent : aussitôt tout le monde fut inondé, et le préfet, sa femme et M. de Mirbot, ne furent pas plus ménagés que d’autres. Tout ce bruit me plaisait fort ; mais M. de Mirbot ne fut pas du même goût, et il fit cesser les jeux d’un ton assez