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l’habitude du général est de céder rarement aux représentations. Nous étions, mon oncle, Charles et moi, à nous promener le long du torrent qui nous sépare de la grande route. Nous en étions fort près, puisque le chemin est sur l’autre bord de l’eau, et de l’endroit où nous nous promenions on peut très-facilement se faire entendre des voyageurs ; mais la traversée du torrent est si périlleuse, que les paysans eux-mêmes n’osent jamais l’entreprendre, et préfèrent remonter jusqu’au pont du village. Nous étions donc fort tranquilles, occupés seulement à jouir de la beauté de la campagne, quand nous vîmes tout-à-coup, de l’autre côté de l’eau, un cheval qui emportait son cavalier ; il avait déjà perdu son chapeau, qui était tombé loin de lui. Charles reconnaît ton père : il s’élance ; et, sans que nous puissions le retenir, il court vers le torrent, et s’y jette pour aller le secourir ; mais l’eau était profonde, le courant rapide, et nous voyons mon pauvre frère enfoncer et disparaître. Je me jetai à genoux ; mon oncle leva les mains vers le ciel, et dans ce triste moment où je crus mon frère mort, je crus aussi que j’allais mourir. Mais aussitôt nous le vîmes reparaître : il avait saisi une branche de saule, dont la racine tenait à l’autre bord ; et le voilà déjà dans la plaine, courant après ton père que son cheval emportait toujours. Nous sommes bien heureux que mon frère ait eu tant de courage ; car bientôt le cheval de ton père fit un saut violent,