Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LETTRE II.

Élisa à Zoé.

Chabeuil, ce 20 mars 1808.

Non sûrement je ne pleurerai pas, ma Zoé, je t’aime trop sincèrement pour cela. Si je verse des larmes, c’est de regret de ne pouvoir t’accompagner, de regret de n’être pas dans le cas de jouir des avantages qui te sont assurés. J’ai eu de la peine à lire ta lettre, mais uniquement par la manière dont elle est orthographiée. À chaque mot, je me disais : Zoé écrit ainsi à quinze ans, et elle ne bénit pas la main tutélaire qui lui procure le bonheur de pouvoir s’instruire ! Ah ! ma Zoé, quel est ton aveuglement ! Hélas ! quand mon brave père fut enlevé par un boulet à la bataille de Marengo, Napoléon n’avait pas encore cette étendue de puissance qui le met aujourd’hui dans la possibilité de faire tant d’heureux ; il n’y avait point de Légion d’honneur, point de maison d’éducation pour les filles des braves militaires. En perdant mon père, j’ai tout perdu. J’avais sept ans alors ; déjà, sur ses appointemens de colonel, il trouvait le moyen de payer ma pension dans la maison de Saint-Germain. J’étais petite verte, mais j’étais la première ;