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fixés sur mon père ; je vis sa physionomie s’épanouir successivement, et j’entendis ces mots terribles : Mes filles et mes fils sont placés ! Alors, ma chère, comme s’il n’était plus boiteux, comme s’il ne criait pas sans cesse, ma blessure ! ma blessure ! voilà mon père qui retire sa jambe emmaillotée, du tabouret qui la soutient, qui prend sa canne, se lève, ôte son chapeau et se met à crier : « Voilà un général, mes amis, sous les ordres duquel il est glorieux de vivre et de savoir mourir. »

Ma pauvre mère ne partageait pas cet enthousiasme, elle pleurait ; les femmes sont bien meilleures ! Ce bel esprit des hommes, leurs grands raisonnemens, tout cela, vois-tu, ma chère Élisa, tient à leur dureté, à leur despotisme...... Il est minuit, et j’écris encore ; j’ai tant pleuré, tant pleuré, que je ne saurais lire ce que j’ai écrit : mais tu me déchiffreras ; et comme Jean va demain au marché, je veux qu’il te porte ma lettre. Ah ! mon Élisa, plains-moi, c’est une consolation, c’est la seule qui reste à ta désolée Zoé.

Ne montre ma lettre à personne, pas même à ta maman ; elle est trop griffonnée.