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précises, la foule des brigands, ayant forcé les postes, se dirigea vers l’appartement de Sa Majesté. Ma sœur entendit la première ces mots terribles : sauvez la reine. Le garde-du-corps qui les prononça reçut treize blessures à la porte même d’où il nous avertit. Si les femmes de la reine s’étaient couchées, Sa Majesté était perdue ; elles n’eurent que le temps de se précipiter dans sa chambre, de l’arracher de son lit, de jeter une couverture sur son corps, de l’emporter dans l’appartement du roi, et de fermer, le mieux qu’elles purent, la porte du corridor qui y conduit. Elle tomba évanouie dans les bras de son auguste époux. Vous savez ce qui est arrivé depuis : le roi, cédant aux vœux de la capitale, s’y est rendu avec toute sa famille le 6 au matin. Le voyage a duré sept heures et demie, pendant lesquelles nous avons entendu sans cesse un bruit continuel de trente mille fusils chargés à balles, que l’on chargeait et déchargeait en signe de joie du bonheur de mener le roi à Paris. On criait, mais inutilement, tirez droit. Malgré cette attention, les balles quelquefois venaient frapper sur les ornemens des voitures ; l’odeur de la poudre nous suffoquait, et la foule était si prodigieuse, que le peuple, pressant de toutes parts les carrosses, leur faisait éprouver le mouvement d’un bateau. Si vous voulez vous former une idée de cette marche, représentez-vous une multitude de brigands non vêtus, armés de sabres, de pistolets, de broches, de scies, de vieilles pertuisanes, marchant sans ordre,