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qui désirèrent assister à cette fête. La reine me dit qu’on lui avait conseillé d’y paraître ; mais que, dans les circonstances où l’on se trouvait, elle pensait que cette démarche pourrait être plus nuisible qu’utile ; que de plus, ni le roi, ni elle, ne devaient avoir une part directe à une telle fête. Elle m’ordonna de m’y rendre, et me recommanda de tout observer, afin de lui en faire un fidèle récit.

Les tables étaient dressées sur le théâtre ; on y avait placé alternativement un garde-du-corps et un officier du régiment de Flandre. Un orchestre nombreux était dans la salle ; les loges étaient remplies de spectateurs. On joua l’air : Ô Richard, ô mon roi ! les cris de vive le roi retentirent dans la salle pendant plusieurs minutes. J’avais avec moi l’une de mes nièces, et une jeune personne élevée, par Sa Majesté, avec Madame. Elles criaient vive le roi de toutes leurs forces, lorsqu’un député du tiers-état qui était dans la loge voisine de la mienne, et que je n’avais jamais vu, les interpella, en leur faisant des reproches sur leurs cris : il s’affligeait, disait-il, de voir de jeunes et jolies Françaises, élevées à suivre d’aussi vils usages, crier à tue-tête, pour la vie d’un seul homme, et le placer dans leur cœur, par un véritable fanatisme, au-dessus même de leurs plus chers parens : il leur peignait le mépris qu’inspirerait une semblable conduite à de braves Américaines, si elles voyaient des Françaises corrompues de cette manière dès leur plus tendre