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ou que Dumouriez, abandonnant le parti des jacobins, était venu s’offrir à elle ; qu’elle lui avait donné une audience ; que, seul avec elle, il s’était jeté à ses pieds, et lui avait dit qu’il avait enfoncé le bonnet rouge jusque sur ses oreilles, mais qu’il n’était, ni ne pouvait être jacobin ; qu’on avait laissé rouler la révolution jusqu’à cette canaille de désorganisateurs qui, n’aspirant qu’après le pillage, était capable de tout, et pourrait donner à l’Assemblée une armée formidable, prête à saper les restes d’un trône déjà trop ébranlé. En parlant avec une chaleur extrême, il s’était jeté sur la main de la reine et la baisait avec transport, lui criant : Laissez-vous sauver. La reine me dit que l’on ne pouvait croire aux protestations d’un traître ; que toute sa conduite était si bien connue, que le plus sage était sans contredit de ne point s’y fier[1] ; que d’ailleurs les princes recommandaient essentiellement de n’avoir confiance à aucune proposition de l’intérieur ; que les forces du dehors devenaient imposantes ; qu’il fallait compter sur leur

  1. La sincérité du général Dumouriez ne peut, dans cette circonstance, être l’objet d’un doute. On verra, dans le second volume de ses Mémoires, combien la défiance de la reine et ses reproches étaient injustes. Marie-Antoinette, en rejetant ses offres et ses services, se priva de l’unique appui qui lui restait encore. Celui qui sauva la France dans les défilés d’Argonne, eût peut-être, s’il eût obtenu la confiance entière de Louis XVI et de la reine, sauvé la France avant le 20 juin.
    (Note de l’édit.)