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Les mesures prises pour garder le roi étaient à la fois rigoureuses pour l’entrée dans le palais, et insultantes dans son intérieur. Les commandans de bataillon, placés dans le salon qu’on appelait grand-cabinet, et qui précédait la chambre à coucher de la reine, avaient l’ordre d’en tenir toujours la porte ouverte, afin d’avoir les yeux sur la famille royale. Le roi ferma un jour cette porte. L’officier de garde l’ouvrit et lui dit que telle était sa consigne, et qu’il l’ouvrirait toujours ; qu’ainsi Sa Majesté, en la fermant, prenait une peine inutile. Elle restait même ouverte la nuit, quand la reine était dans son lit ; et

    l’honneur d’être attachée à Sa Majesté, insistant avec force pour que la sentinelle leur permît d’entrer. Les poissardes les attaquèrent sur l’audace qu’elles avaient de résister à une consigne. Une d’elles va saisir ma sœur par le bras en l’appelant esclave de l’Autrichienne. « Écoutez, lui dit ma sœur d’une voix forte et avec le véritable accent du sentiment qui l’inspirait, je suis attachée à la reine depuis l’âge de quinze ans ; elle m’a dotée et mariée ; je l’ai servie puissante et heureuse. Elle est infortunée en ce moment ! dois-je l’abandonner ? — Elle a raison, s’écrièrent ces furies, elle ne doit pas abandonner sa maîtresse ; faisons-les entrer. » À l’instant elles entourent la sentinelle, forcent le passage, et introduisent les femmes de la reine, en les accompagnant jusque sur la terrasse des Feuillans. Une de ces furies, que la moindre impulsion eût portée à déchirer ma sœur, la prenant alors sous sa protection, lui donna quelques avis pour arriver sûrement jusqu’au palais. « Ôtez surtout, lui dit-elle, ma chère amie, cette ceinture de ruban vert ; c’est la ceinture de ce d’Artois auquel nous ne pardonnerons jamais. »

    (Note de madame Campan.)