Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

action d’éclat ; quitter un palais pour une cellule, de riches vêtemens pour une robe de bure. Elle l’a faite.

Je vis encore madame Louise deux ou trois fois à sa grille. Ce fut Louis XVI qui m’apprit sa mort. « Ma tante Louise, me dit-il, votre ancienne maîtresse, vient de mourir à Saint-Denis, j’en reçois à l’instant la nouvelle ; sa piété, sa résignation ont été admirables, cependant le délire de ma bonne tante lui avait rappelé qu’elle était princesse, car ses

    pas aussi heureux qu’on peut l’être sur la terre ? Madame Louise permet les questions et y répond brièvement, mais avec bonté. Je désirais savoir quelle est la chose à laquelle, dans son nouvel état, elle a le plus de peine à s’accoutumer. Vous ne le devineriez jamais, a-t-elle répondu en souriant : c’est de descendre seule un petit escalier. Dans les commencemens, a-t-elle ajouté, c’était pour moi le précipice le plus effrayant ; j’étais obligée de m’asseoir sur les marches et de me traîner, dans cette attitude, pour descendre.

    » En effet, une princesse qui n’avait descendu que le grand escalier de marbre de Versailles, en s’appuyant sur le bras de son chevalier d’honneur… et entourée de ses pages, a dû frémir en se trouvant livrée à elle-même sur le bord d’un escalier bien roide, en colimaçon. Elle connaissait long-temps d’avance toutes les austérités de la vie religieuse ; pendant dix ans elle en avait secrètement pratiqué la plus grande partie dans le château de Versailles, mais elle n’avait jamais pensé aux petits escaliers. Ceci peut fournir le sujet de plus d’une réflexion sur l’éducation ridicule, à tant d’égards, que reçoivent en général les personnes de ce rang, qui, dès leur enfance, toujours suivies, aidées, escortées, sifflées, prévenues, sont ainsi privées de la plus grande partie des facultés que leur a données la nature*. »

    (Note de l’édit.)

    *. Les princes, aujourd’hui, sont mieux élevés, surtout en Angleterre, en Prusse, etc. ; mais l’auteur écrivait ceci en 1773.

    (Note de madame de Genlis.)