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après cent. Je rachetai des meubles ; je payai mes dettes. J’étais heureuse d’avoir trouvé cette ressource, si éloignée de toute intrigue[1]. »

Aux talens, à l’expérience, aux excellens principes de madame Campan, appartiennent sans doute les succès brillans et rapides qu’obtint l’institution de Saint-Germain. Toutefois on doit convenir qu’elle était merveilleusement favorisée par l’opinion. Rechercher, accueillir, seconder tous ceux qui avaient approché de la cour, c’était alors braver, humilier le pouvoir régnant ; et l’on sait si l’on s’est refusé jamais un pareil plaisir en France. J’étais bien jeune alors, et cette disposition des esprits, dans ceux qui m’entouraient, ne m’échappait point. Toutes les fortunes avaient changé de mains, tous les rangs se trouvaient confondus par l’effet des secousses de la révolution : la société était comme une bibliothèque dont on aurait replacé les livres au hasard, après en avoir arraché les titres. Le grand seigneur, ruiné, dînait à la table de l’opulent fournisseur, et la marquise, brillante d’esprit et de grâce, était assise au bal à côté de l’épais parvenu. À défaut des distinctions et des dénominations anciennes que proscrivait le directoire, l’élégance des manières et la politesse du langage formaient une espèce d’aristocratie peu commune. La maison de Saint-Germain, dirigée par une femme qui avait le ton, le maintien, les habitudes et la conversation de la meilleure société, devenait, pour les jeunes

  1. Ce fragment est extrait d’un Mémoire dont Napoléon, dans les cent jours, a ordonné le dépôt aux archives du ministère des relations étrangères.