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moiselle de Polignac, à peine âgée de treize ans, à M. de Grammont qui, en faveur de ce mariage, fut nommé duc de Guiche et capitaine des gardes du roi en survivance du duc de Villeroi. La duchesse de Civrac, dame d’honneur de madame Victoire, avait eu la promesse de cette place pour le duc de Lorges, son fils. Le nombre des familles mécontentes s’augmentait à la cour.

Le titre de favorite était trop hautement donné à la comtesse Jules par ses amis : le sort des favorites des reines n’est pas heureux en France ; la

    dévouement pour la reine lui avait imposé, et qui cependant était si peu de son goût. Sa santé s’altéra d’une manière alarmante ; les médecins lui ordonnèrent les eaux de Bath. Comme l’usage de la cour était que la gouvernante des enfans de France ne s’absentât jamais, la duchesse se vit, par cet ordre des médecins, dans l’alternative de conserver sa charge, dont les douleurs qu’elle souffrait ne lui permettaient plus de remplir les devoirs, ou de donner sa démission. Elle l’offrit à la reine qui, après l’avoir écoutée en silence, lui répondit les yeux humides de pleurs, en ces termes :

    « Vous ne devez, ni ne pouvez vous séparer de moi ; votre cœur s’y opposerait. Au rang où je me trouve, il est rare de rencontrer une amie, et pourtant si utile, si heureux de donner sa confiance à une personne estimable ! Vous ne jugez pas de moi comme le vulgaire, vous savez que l’éclat qui m’environne ne fait rien au bonheur ; vous n’ignorez pas que mon ame, remplie d’amertume et de peines qu’il m’est nécessaire de cacher, sent le besoin de trouver un cœur qui les entende. Ne dois-je donc pas remercier le ciel de m’avoir donné une amie vraie, sensible, attachée à ma personne et point à mon rang ? Ce bonheur est inappréciable : au nom de Dieu ne m’en privez pas. »

    (Note de l’édit.)