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LES BELLINI.

mosaïques, jettent leurs notes harmonieuses. Derrière ce réalisme, on sent une atmosphère, et derrière cette indifférence apparente, une émotion contenue. Gentile est en droit de déclarer, comme une inscription en témoigne, que son ardente dévotion pour la Croix lui inspira cette œuvre. On tremble à penser ce que Tintoret, par exemple, eût fait du même sujet. Pour être fervent, le chroniqueur n’en est pas moins fidèle. C’est le miracle avant la lettre, avant qu’on sût qu’il pourrait se produire. La distraction et l’indifférence de la foule font sentir davantage encore l’ardeur de cette prière isolée que Dieu devait exaucer, dans sa miséricorde.

La Procession intéresse encore à un autre point de vue. Elle ne renferme pas seulement, par un anachronisme fréquent à cette époque, les portraits de tous les membres éminents de la confrérie, mais aussi celui de la place Saint-Marc. C’est, en effet, l’expression dont on se servait alors. Nous l’avons vu, Jacopo peignit ainsi un ritratto de Jérusalem pour la Scuola di San Marco. Gentile s’était fait une spécialité de ce genre. En 1493, le duc de Mantoue lui commande les ritratti « du doge Barbarigo, du Caire et de Venise ». Quatre ans plus tard, il lui réclame un ritratto de Gênes. Et ce sont bien des portraits, et non de froids décors d’architecture que peignait l’artiste. L’âme de la ville plane sur son œuvre, tantôt minutieusement exacte, comme dans cette Procession, tantôt délicieusement fantaisiste, comme dans le Prêche de saint Marc à Alexandrie, où l’imagination