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LES BELLINI.

découvrir, dans son œuvre, quelque trace d’innovation technique. Mais, devant ce portrait de Mahomet, il est impossible de ne pas évoquer les meilleurs tableaux des primitifs flamands, dont il se rapproche plus encore par la vie intérieure qui anime le modèle que par la profondeur du coloris et le fini des détails.

Ce n’est plus un profil, comme le Lionel d’Este de Pisanello ou l’image du patriarche Giustiniani. Le portrait s’affranchit, cette fois, de la médaille. La tête pâle du sultan se détache, de trois quarts, sur le fond sombre ; l’œil noir, la barbe noire mettent encore davantage en valeur la clarté lumineuse des chairs et du turban. Le nez recourbé s’allonge, avec un parti pris de réalisme, au-dessus de la moustache soyeuse. L’expression est à la fois féline et rêveuse. Mahomet ne porte aucun bijou ; le large col de fourrure suggère même une sorte de simplicité sauvage ; mais voyez le cadre et la pièce de brocart, rehaussée de joyaux, recouvrant la balustrade : quelle richesse, quelle minutie de détail dans chaque moulure, dans chaque reflet ! Le rude conquérant de l’Asie n’a-t-il pas conservé toute sa violence cruelle, tous ses instincts barbares au milieu de sa cour orientale, en dépit des artistes, des érudits et des humanistes dont il s’entoure ?

L’artiste ne vise pas seulement à la ressemblance. Il traduit, plus ou moins consciemment, l’âme de son modèle. Ce chef-d’œuvre s’associe, dans l’esprit, au Lionel d’Este attribué à Roger Van der Weyden, peint à la cour de Ferrare, en 1480 (Londres, collection Edg. Speyer), et au