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LES BELLINI.

ses découvertes techniques sans se surcharger de son érudition ! Elle s’appropria le luxe des décors, la vivacité des mouvements, la précision des perspectives, mais elle abandonna, ou mieux elle ne vit pas, la recherche tourmentée d’une vérité fugitive, la fièvre de critique, l’orgueil sceptique et individualiste que traduisait cet art nouveau. La base était solide, la superstructure était frêle. Avec un instinct sûr, Venise s’appropria l’une, sans considérer l’autre. La Renaissance ne fut pour elle qu’un moyen d’expression nouveau, et elle la lit servira ses fins, avec le sens pratique qui distingue les grandes cités marchandes. La littérature du temps n’agit pas sur son œuvre. Ses peintres ne s’embarrassent ni de Pulci, ni de Politien, ni de philosophie, ni d’archéologie. Ce ne sont pas, comme les grands Florentins, des génies encyclopédistes, embrassant le monde dans une vaste étreinte, à la fois ingénieurs et poètes, armuriers et peintres. Ils ne font qu’une seule chose, mais ils la font bien. Ils opèrent dans un cadre restreint, mais ils le remplissent.

La République n’avait besoin ni de dilettantes, ni de beaux parleurs. Elle réclamait de bons ouvriers. Le service de l’État était si absorbant qu’il ne laissait pas les loisirs nécessaires aux recherches abstraites. Venise était, pour ses citoyens, le centre du monde, et la salle du Grand Conseil était, pour ses peintres, le centre de Venise. Toute l’histoire de la peinture, durant la belle période, tient entre ses quatre murs. Les artistes auxquels la décoration en était confiée dirigeaient les destinées artistiques de la