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tout le moyen âge et au début des temps modernes ; la Russie et la Pologne se partageant le nord, et les hordes asiatiques occupant le sud. Cette division politique correspond à une division géographique encore bien remarquable aujourd’hui : toute la région située au nord d’une ligne dirigée du S. O. au N. E., de la pointe orientale des monts Carpathes au sud des monts Ourals, appartient à la zone des forêts plus ou moins défrichées qui se prolonge dans toute l’Europe occidentale, tandis que la région située au sud de cette ligne appartient à la zone des steppes qui couvre tout le centre de l’Asie et se prolonge, au delà des Carpathes, par la Puszta hongroise.

Cette pointe avancée des steppes asiatiques en Europe, qui accuse le caractère d’unité du double continent de l’« Eurasie », a de tous temps servi de voie d’invasion aux tribus nomades de l’intérieur, qui y trouvaient une nature semblable à celle de leur pays d’origine[1], depuis les Scythes, buveurs de lait de jument, dont parle Hérodote, jusqu’aux tribus qui s’y succédèrent du ve au xvie siècle. Les Huns s’établirent, sous Attila, en Hongrie et provoquèrent par leurs invasions, l’émigration des Angles et des Saxons (et la découverte de la Grande Bretagne), la coalition à Châlons des Francs, des Goths et des Gallo-romains (préparant l’unité française), la destruction d’Aquilée et de Padoue (et la fondation de Venise), la médiation heureuse du pape Léon, à Milan (et la consolidation de la puissance papale). Les Avares furent la cause directe de la fondation de la marche d’Autriche et de l’importance stratégique de Vienne. Les Magyars qui les remplacèrent en Hongrie jouèrent, vis-à-vis de l’empire, le même rôle. Les Bulgares dominèrent les Slaves au sud du Danube. À l’époque de l’expansion arabe, les Khazars occupaient les steppes de la Russie. Enfin, les Mongols les remplacèrent et rendirent tributaires les populations occupant les forêts du nord.

Dans l’entretemps, les Normands, venant de Scandinavie, exerçaient sur le N. O. de l’Europe une pression hostile qui contribua à créer l’unité anglaise et française. Ainsi l’Europe se trouvait prise entre deux ennemis, l’un venant du N. O., l’autre du S. E., et c’est au cours des luttes qu’elle eut à soutenir contre eux que son individualité et sa civilisation se forma.

  1. Cf. Demolins, Comment la route crée le type social, t. I.