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PAUL CLAUDEL

intense, la respiration devient saccadée, et le vers se brise en tronçons.

Cette théorie est fondée en nature et en raison. Mais il faut avouer que Claudel ne l’a pas toujours fidèlement suivie ; et il se rencontre chez lui pas mal d’excentricités inexplicables. Il a évolué toutefois ; dans ses dernières œuvres, son verset est ample, et d’un nombre admirable ; la rime ou du moins l’assonance le terminent presque toujours ; on voit qu’il est fait pour être lu à haute voix. Comme l’a fort bien dit R. Vallery-Radot, il « rappelle certaines proses liturgiques du Moyen Âge. » Il faut tenir opiniâtrement à ce « vieux gaufrier » (comme disait Huysmans) de l’ancienne métrique, pour prononcer une sentence sans appel contre le vers claudélien ! Il faut être insensible à toute musique, pour ne pas sentir la riche et savante harmonie de ces belles phrases balancées selon un rythme qui s’accorde si bien avec la pensée !

… Mais voilà ! Nous avons « perdu l’habitude de la vénération. » Nous trouvons plus de plaisir au dénigrement qu’à la louange. Il faut croire qu’il y a une certaine volupté à « chercher les poux dans la crinière du lion ! »

Et cela explique sans doute le silence insultant ou la pitié dédaigneuse dont on paie aujourd’hui les plus grands d’entre les hommes.

Eh ! oui ! Claudel a d’énormes défauts, comme en ont Shakespeare et Corneille. Je ne demande pas qu’on les lui pardonne. Mais qu’ils n’empêchent pas de voir ses qualités splendides qui font de lui un très grand poète. La postérité, plus juste, aura soin de le venger.