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LE BEAU RÉVEIL

ingénieuses autant que fantaisistes, qui les bourrent de sens. Ainsi connaître, pour lui, c’est co naître, naître en même temps, parce qu’une chose que nous connaissons commence à exister pour nous ; naître, c’est n’être, commencer à être ; le nom, c’est le non, le non autre, ce qui marque en quoi tel être n’est pas tel autre. Le mot soi implique essentiellement l’idée de séparation et est apparenté à sanctus, sans, sceau, scindere, etc.

Pour la syntaxe il a peu d’égards quelquefois. Outre les tournures archaïques, hébraïques, latines, etc., il faut signaler ses ellipses et inversions insolites, la suppression de verbes, l’abandon subit d’une construction pour une autre, etc. Et de ces singularités nous n’allons pas le louer. Quant à sa prosodie, elle est tout aussi curieuse et déconcertante. Ce défenseur de l’ordre et de la tradition a montré, il est vrai, son respect du vers classique et son habileté à s’en servir par quelques poèmes en alexandrins d’une grande pureté et d’une harmonie profonde et pleine ; mais le plus souvent il emploie le verset ou bien le vers libre de structure très spéciale qu’on est convenu d’appeler le vers claudélien. Ce vers est basé sur la théorie du rythme respiratoire[1]. La longueur d’un verset correspond à une longueur d’haleine, et la longueur d’haleine varie avec l’émotion : quand celle-ci devient

  1. Claudel l’a défini lui-même dans « la Ville » :
     « Ô mon fils, lorsque j’étais un poète entre les hommes
    J’inventai ce vers qui n’avait ni rime, ni mètre,
    Et je le définissais, dans le secret de mon cœur, cette fonction double et réciproque
    Par laquelle l’homme absorbe la vie et restitue, dans l’acte suprême de l’expiration,
    Une parole intelligible. »