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PAUL CLAUDEL

vers synthétiques, substantiels, et lourds de pensée condensée, ces métaphores directes et violentes, ces sauts lyriques, ces ellipses hardies, ces anacoluthes, ces heurts de mots, parfois étranges et parfois d’une saisissante beauté ; — bref, cette marche impétueuse à travers tout, en bousculant les idées, le goût des lecteurs — et la syntaxe !

Et de mentionner ces coups de poings à la syntaxe m’amène à vous dire quelques mots de la langue de Claudel et de sa métrique ; — parce que c’est précisément elles qui rendent à beaucoup son œuvre inabordable ou déplaisante. Il n’écrit point comme tout le monde ! — Est-ce un mal ? Neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf lecteurs sur mille ne lui pardonnent pas cette originalité, — ne lui pardonnent surtout pas de leur imposer un effort sérieux et long pour entendre sa langue. Mais comme il aurait tort de se soucier de leur paresse intellectuelle ! « Je me contente d’un seul lecteur, disait Montaigne ; je me contente de pas un ! » Claudel n’a besoin que de l’élite. Et je crois qu’il n’écrit que pour elle. Ses « Cinq grandes Odes » ne furent tirées qu’à 200 exemplaires. Il ne sera jamais la pâture du « profanum vulgus. »

Claudel connaît admirablement le français : l’actuel et l’ancien, celui de l’académie et celui du peuple, celui des provinces, celui des arts et des métiers, de la marine et de la guerre. Son vocabulaire est des plus riches et des plus variés. Il connaît l’anatomie des mots, en a scruté le sens jusqu’au fond, les a pris à leur origine, leur restitue souvent leur sens primitif : par exemple : nous appelons les choses, c’est-à-dire nous les évoquons. Il invente même parfois des étymologies