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LE BEAU RÉVEIL

cendre, tenant de la main son cheval par le bridon.

« Et il entend derrière lui dans le brouillard le bruit de tout un peuple qui marche.

« Et voici qu’il voit le soleil levant à la hauteur de son genou comme une tache rose dans le coton,

« Et que la vapeur s’amincit et que tout à coup

« Toute la Terre-promise lui apparaît éclatante, toute verte et ruisselante d’eaux…

« … Et l’on voit ça et là, du fond du gouffre, de grandes vapeurs blanches, comme des îles qui larguent leurs amarres, comme des géants chargés d’antres…

« Il est difficile, a dit fort bien un critique, de définir en quoi consiste ce don de la vie qui échappe à tout enseignement comme à tout calcul. Tout au plus peut-on dire qu’il se manifeste par l’expression immédiate et totale de l’objet au moyen de certains traits essentiels et distinctifs qui suppléent aux indications absentes. »

Mais il nous faut examiner ce qui fait l’étrange puissance de ce pittoresque condensé, quel est le secret de la force de ce style nerveux, comme aussi la cause de l’obscurité et de l’incohérence qui ça et là déparent son œuvre : Paul Claudel est un génie synthétique. « Il n’analyse pas, il ne décrit pas son objet avec méthode, il ne développe rien. Il n’examine point les choses par parties et successivement ; il les veut d’emblée et tout entières. C’est un esprit intuitif, et non discursif ; brusque, et non patient. En sa marche hâtive, il néglige de marquer les transitions et de compléter les détails[1]. » De là, ces raccourcis d’expression, ces

  1. J. de Tonquédec.