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PAUL CLAUDEL

« Boit d’un seul trait sa corde, et rabat son envergure invisible vers le fond.

« La barque évite… ; il n’y a plus qu’à attendre et à surveiller

« La ligne, aussi raide que du fer, qui s’enroule aux grosses mains endommagées.

« Mais, grand Dieu ! que c’est lourd, cette fois, à remonter ! Il tire…

« — Son frère l’aide… — la prise est grande, et tous deux n’y peuvent suffire.

« Et soudain la poche énorme apparaît, pleine de choses vivantes qui bouillent,

« Le bruit gras, cher au pêcheur, du poisson qui reluit et qui grouille. »

« Claudel pense avec ses sens », a dit Jules Rivière, et rien n’est plus vrai : l’abstraction elle-même s’incarne, prend corps et vêtement, sous sa plume.

Je ne connais point de pittoresque plus dru, plus intense, plus vigoureux que le sien. Il ne procède pas par tableaux détaillés aux traits soigneusement coordonnés ; sa description est ramassée. Il a le don de peindre fortement, en quelques traits essentiels et définitifs, des tableaux en raccourci d’une grande intensité, qui suggèrent autant qu’ils décrivent. Ses expressions drues nous enfoncent dans les yeux ce qu’il faut que nous voyions. « Rien de vague, tout est concret et circonstancié à l’extrême. »[1] Il faudrait rappeler ici les métaphores et les comparaisons par lesquelles il veut nous donner la sensation exacte de ce qu’il voit ou entend : « les profondes fumées grelottantes des

  1. J. de Tonquédec. Op. cit.