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LE BEAU RÉVEIL

point. Par l’anachronisme naïf et le détail terre à terre, Claudel veut autre chose qu’imiter consciemment ce que faisaient naïvement les Primitifs.

Dans le fait individuel, il distingue la loi générale. Si, par exemple, il peint Renan parmi les bourreaux de la Passion :
 « Le valet d’Anne soufflète Jésus, et Renan le baise[1] »
il veut montrer que la Passion n’est pas un fait historique seulement, mais un fait permanent : la lutte, jusqu’à la fin des temps, du péché contre la vertu, du démon contre le Christ. Ainsi donc, comme Molière et Racine faisaient de leurs personnages des types d’humanité, Claudel, en suggérant, sous l’événement isolé, une signification profonde et universelle, en fait le type de tous les événements analogues.

  1. Cfr. Chant de la Présentation :
     « C’est en vain que Daniel a prédit le temps, et Michée le lieu, et que l’histoire complète,
     « Avec le nom même de Jésus à chaque ligne, se trouve dans David et dans Isaïe,
     « Tout ça, c’est des histoires de bouquins et des superstitions de sacristie !
     « C’est bien plus intéressant de lire le journal et de faire de la politique contre les Romains ! »
    — Ou encore : Chemin de la Croix. Ire Station :
     « C’est fini. Nous avons jugé Dieu et nous l’avons condamné à mort.
     « Nous ne voulons plus de Jésus-Christ avec nous, car il nous gène.
     « Nous n’avons plus d’autre roi que César ! d’autre loi que le sang et l’or !
     « Crucifiez-le, si vous le voulez, mais débarrassez-nous de lui ! qu’on l’emmène !
     « Tolle ! Tolle ! Tant pis ! puisqu’il le faut, qu’on l’immole et qu’on nous donne Barabbas ! »…
    — Cela n’est-il pas le langage des « sages » d’aujourd’hui tout autant que celui de ces autres « sages » que le Christ « gênait ? »