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LE BEAU RÉVEIL

mon âme sauvage, il faut nous tenir libres et prêts,

« Comme les immenses bandes fragiles d’hirondelles quand sans voix retentit l’appel automnal !

« Ô mon âme impatiente, pareille à l’aigle sans art ! Comment ferions-nous pour ajuster aucun vers ? À l’aigle qui ne sait pas faire son nid même ?

« Que mon vers ne soit rien d’esclave, mais tel que l’aigle marin qui s’est jeté sur un grand poisson :

« Et l’on ne voit rien qu’un éclatant tourbillon d’ailes et l’éclaboussement de l’écume ! »

Pour avoir une idée de sa manière, comparez par exemple son « Hymne du Saint-Sacrement » au « Lauda Sion » de Thomas d’Aquin qui traite le même sujet. Chez l’un et l’autre, même richesse d’idées, même précision dogmatique, — mais quelle opposition quant à leur art ! Chez le Docteur Angélique, les phrases sont ordonnées, symétriques, soigneusement rythmées, mais trop étudiées, trop repolies, trop concises — de vrais comprimés de doctrine ; l’émotion est figée, trop resserrée dans les rives d’une sagesse un peu trop raisonnante ; les images manquent de spontanéité ; elles ont plus de justesse que de force, plus de netteté que d’éclat. — Chez Claudel, au contraire, la phrase, tantôt récitative, très ample, s’épand en nappe comme un beau fleuve et miroite de flots d’images ; tantôt gonflée d’émotion, bondit comme un torrent avec une force majestueuse ; les images et les sentiments sont tour à tour sublimes et familiers ; ce n’est pas seulement une intelligence qui contemple et adore : c’est un homme tout entier, avec ses sens, son imagination, son cœur et son esprit, qui crie sa ferveur frémissante.

La qualité la plus saillante du génie claudélien,