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PAUL CLAUDEL

à des rites pleins de sens. Quant à la vie humaine, avec ses passions et sa raison et son libre vouloir, elle s’agite sous l’œil terrible de Dieu, et les moindres actes, les plus infimes pensées ont un écho qui se répercute dans les abîmes de l’éternité. Nul poète sans doute, si l’on en excepte peut-être Dante, n’a de la vie une conception aussi élevée et aussi grave. Et il chante sa foi avec une telle conviction, avec une telle joie tranquille et forte dans l’immuable certitude, que cette foi en devient comme rayonnante et conquérante. Claudel n’est pas un apologiste, et pourtant il attire certaines âmes à Dieu. Son verbe magnifiquement affirmatif devient impératif ; il contraint à regarder Dieu. Des incroyants, qui ne lui ont pourtant pas obéi, ont très bien senti cela : Georges Duhamel en fait l’aveu avec beaucoup de franchise, et Jules Rivière écrit : « Qu’on ne pense pas pouvoir lui consacrer une froide admiration. Ce n’est pas l’assentiment de notre goût qu’il désire, mais il exige notre âme, afin de l’offrir à Dieu ; il veut forcer notre consentement intime ; il veut nous arracher, malgré nous, à l’abjection du doute et du dilettantisme… Refuser le christianisme de Claudel, c’est se condamner à n’avoir plus recours qu’en le néant. »

Ce poète-philosophe, qui plonge si avant dans les arcanes de la pensée et du sentiment, est loin d’être insensible à la beauté matérielle du monde extérieur. Sa sensibilité est attentive et frémissante. La nature l’enivre de ses couleurs et de ses lignes, de ses sons et de ses parfums ; et s’il se meut avec une aisance extraordinaire dans l’abstraction pure et la métaphysique la plus élevée, cet étonnant génie n’en saisit pas