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LA POÉSIE CATHOLIQUE D’AUJOURD’HUI


Donnez-nous seulement le courage qu’il faut :
Celui dont vous armez l’humble femme qui plie
Après que tout le jour, à genoux près de l’eau,
Elle lava pour nous, et que je vois, si tôt,
Suspendant à la corde raide qu’elle essuie
Le linge, — de ses bras en croix levés bien haut.

Vous le sentez à ces vers de la « Maison pauvre », André Lafon, comme tous les poètes du même groupe, « ne pense pas que l’art doit être l’orgueilleuse affirmation d’une individualité qui veut dominer l’univers, mais l’expression humblement émue d’une âme pour qui la vie a un sens sacré qui nous dépasse, et un but éternel qui resplendit ailleurs qu’ici[1]. »

  1. R. Vallery-Radot dans les « Cahiers de l’Amitié de France », à propos de « l’Élève Gilles. » — La vie d’André Lafon fut simple et bonne comme son œuvre. « Presque à la même date (juin 1915) s’éteignait, à l’hôpital militaire de Bordeaux, notre cher André Lafon ; il attendait, au camp de Souge, l’instant de partir pour le front lorsqu’une scarlatine mal soignée l’emporta en deux jours. L’aumônier en passant devant son lit lui demanda qui il était ; il répondit : « André Lafon, répétiteur au Collège Sainte-Croix. » Et le prêtre ignora jusqu’au jour de la mort d’André, qu’il avait parlé au premier grand prix de littérature, au poète de la « Maison pauvre », à l’évocateur insigne de « l’Élève Gilles » et de la « Maison sur la Rive », à l’âme unique de silence et de prière, en qui la création se reflétait comme aux jours de la Genèse, sainte et pensive, et comme grosse du Rédempteur à venir ; chaque heure pour lui enfantait Dieu dans notre âme. Comme il a aimé les humbles choses quotidiennes ! Il les portait dans son cœur comme dans une crèche où l’Enfant divin naît de notre misère et de notre désir ; lorsqu’il prenait un fruit, un vase, il semblait accomplir un rite, offrir à Dieu la splendeur cachée du monde. Il n’était pas d’être infime où il ne sut nous faire voir le signe de l’amour, de la destinée mystique ; il avait le génie du respect, de l’adoration, il avait le recueillement de l’Archange au souffle de l’Esprit.