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LE BEAU RÉVEIL

Le Moyen-Âge français eut, vous le savez, un art et une littérature bien autochtones, exprimant la vie et les aspirations du peuple, et profondément marqués du double caractère national et chrétien. Au xvie siècle, la Renaissance influa fortement sur les façons de penser, de sentir et de rendre. Avec les formes antiques, la pensée et la sensibilité païennes s’inoculèrent à l’âme française, modifiant profondément l’idéal artistique et littéraire. Je n’ai pas à examiner ici les résultats multiples de cette révolution intellectuelle. Le grand méfait que nous lui reprochons, c’est d’avoir paganisé pour quatre siècles notre conception du monde, d’avoir causé le divorce de la foi et de l’imagination, c’est-à-dire d’avoir établi entre la foi chrétienne et les œuvres d’imagination une cloison étanche. Depuis lors il se rencontre des poètes qui sont chrétiens dans leur vie et païens dans leurs vers. Comme on l’a fort bien dit, ils laissent leur religion à la porte de leur cabinet de travail. La foi ne nourrit plus leur inspiration. J’ai connu au front, un jeune poète, bon chrétien ; plusieurs fois je le trouvai, dans une chapelle des dunes, agenouillé devant le Saint Sacrement ; eh bien ! le croira-t-on ? Ses poèmes sont d’un homme pour qui les réalités surnaturelles semblent n’exister point. N’ya-t-il pas là une anomalie ? Remontez les siècles jusqu’aux classiques, jusqu’à la Pléïade, et vous rencontrerez de nombreux exemples de cette anomalie[1]. Le bon Boileau n’a-t-il pas, en deux vers demeurés

  1. « Qui se douterait, à lire Rabelais, Montaigne, Racine, Molière, Victor Hugo, qu’un Dieu est mort pour nous sur la Croix ? C’est cela qui doit absolument cesser » (Paul Claudel. Lettre à M. Rob. Vallery-Radot ; citée dans l’Anthologie de la Poésie catholique, préface).