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LE BEAU RÉVEIL

pantoufles, rédigeait son article sur la bonne humeur du soldat, son héroïsme souriant, etc.

— Les civils ne voyaient pas bien la différence entre le récit vrai et le simili. Le second était pour eux plus intéressant parfois, moins monotone, — plus rassurant aussi. Mais les poilus ne s’y trompaient jamais. Les livres nés dans la boue des champs de bataille ont une saveur spéciale, que nous connaissons bien.

Il y eut d’ailleurs — et c’était à prévoir — une réaction contre le roman-bataille. Les poilus trouvaient, qu’en fait de bataille, la réalité leur suffisait. Ils demandaient un dérivatif : le livre de guerre ne le leur donnait point. Blasés de scènes sanglantes ou agacés par les clairons belliqueux, ils voulurent du roman romanesque (je n’approuve pas, je constate). Dans les bibliothèques du front et des ambulances, les livres patriotiques sommeillaient poudreux. Cette antipathie s’est encore accentuée, semble-t-il, depuis l’armistice. William Locke racontait, il y a quelques mois, dans l’Atlantic Monthly, ses aventures auprès des éditeurs américains. Dès qu’il montrait son manuscrit, on lui demandait : « Y parlez-vous de la guerre ou des soldats ? Le public n’en veut plus. Nous n’acceptons pas même pour rien votre manuscrit ! » « Ainsi donc, conclut Locke, j’ai le choix : je puis écrire des romans historiques dont l’action se déroule en 1713, 1813, 1913 ; ou bien des romans d’aventures, ou de cape et d’épée ; ou bien je peux exprimer mon âme — et crever de faim. »

Je le regrette pour M. Locke, mais, voyez-vous, on a été abreuvé de cette littérature jusqu’à la satiété. Le marchand d’ailleurs aime peu qu’on lui parle de l’hé-