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LE BEAU RÉVEIL

par sa littérature, devait souffrir en elle ; et c’est une loi du sacrifice que soient immolées les meilleures unités du troupeau ! Puissent ces immolés, par ce libre et volontaire don de soi, rappeler à la littérature les lois auxquelles elle demeure, malgré tout, soumise !

Ceux qui ne furent point tués n’écrivaient plus guère. Mais ils observaient, — l’homme de lettres ayant l’habitude d’examiner toute chose sous le rapport du parti qu’il en peut tirer pour le livre à faire. Ils prenaient des notes, furieusement, minutieusement. Le goût des sensations neuves trouvait de quoi se satisfaire, voire se gaver. La vie des camps, avec son dénuement et sa proximité de la nature, leur donnait cette étrange impression d’être des esprits raffinés dans des corps de primitifs. Je sais par expérience quel charme avait — les premiers jours ! — cette existence à la Robinson Crusoë…

Les mois passèrent. Les grandes retraites avaient cessé. La ligne du front se stabilisa. La vie devint plus régulière. L’équilibre se rétablissait, dans les armées, et aussi dans les esprits. Les impressions qu’on n’avait pu rendre exactement au moment même, à cause de leur intensité exagérée, s’étant cristallisées, on les concrétisa. Les premiers livres de guerre apparurent, rares d’abord, puis de plus en plus drus, à la façon des grêles d’avril ou de la pluie à grosses gouttes de juillet.

Les écrivains les plus abondants, ou les plus habiles, nous servirent tout chaud le pain de leur souffrance. Évidemment, on lui trouva une saveur exquise. Le succès encouragea les autres. Récits de guerre vécus… ou rêvés, journaux de campagne et carnets de route,