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LA LITTÉRATURE ET LA GUERRE

de leurs connaissances spéciales pour tenir… le volant d’un auto d’état-major, et que des champions de la boxe, du disque, du cycle s’avouaient cardiaques au dernier degré » — des centaines de jeunes hommes débilités par un travail cérébral intense s’affirmèrent aussitôt courageux soldats, ou chefs excellents. Mais ce geste a coûté cher à la Patrie. Sans doute, leur exemple a été d’une efficacité extraordinaire, mais on ne regrettera jamais assez une telle hécatombe de vigoureux talents. « Peut-être, écrit Charles le Goffic, qu’une conception plus éclairée des intérêts du pays eût permis d’épargner certaines de ces vies, dont la perte ne saurait être rachetée et amoindrit cruellement notre capital intellectuel. »

Je pense, avec Georges Montorgueil, qu’ils n’eussent pas accepté l’humiliant privilège de l’abri. « Alors, répond Alphonse Mortier, il eût fallu les embusquer malgré eux ». « Une sage conception, dit-il, utilitariste et réaliste, non sentimentale et du ressort d’un certain romantisme politique, nous aurait fait considérer l’élite comme un trésor qui ne doit pas être gaspillé. »

Quoiqu’il en soit, il m’est avis que, puisqu’on « embusquait » quand même, il eût mieux valu ménager ces hommes-là.

On ne peut lire sans une profonde tristesse la liste interminable des écrivains et poètes français brutalement tués par la guerre aveugle : Psichari, Péguy, Lotte, Lafon, Augustin Cochin, Paul Drouot, Jean-Marc Bernard, Lionel des Rieux, Pierre-Maurice Masson, Henry Du Roure, Pierre Gilbert, Léo Latil, et d’autres. Enfin, leur œuvre apparaît plus belle, revêtue de cette signature sanglante. La guerre, d’ailleurs, fut une grande expiation. La France, ayant péché