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LE BEAU RÉVEIL

çons ivres bâtissent sur des crevasses béantes. Dans les domaines économique, social et politique, c’est la débâcle, le marasme, le gâchis. Le coin où règne le moins de désordre c’est la littérature — paysage rangé et ratissé par endroits comme un jardin français, où la tempête a ravagé des taillis sauvages dont nous souhaitions la disparition, renversé les petits édicules en stuc : pagodes, music halls, baraques de saltimbanques, mais respecté les quelques bons édifices solides et harmonieux que de probes ouvriers s’étaient mis à y construire à la veille de la guerre.

Je crois pouvoir affirmer que l’état de la littérature est plus rassurant qu’à la veille de la guerre. La constatation est aisée ; mais l’analyse des causes profondes et véritables l’est beaucoup moins. Les événements sont trop près de nous, comme mêlés à notre vie : notre jugement manque encore d’horizon, de perspective, et nous risquons de confondre les plans.

La littérature d’une époque est le produit de son âme, et l’on ne mesure pas les âmes à l’aune ou à la toise.

Il est parfaitement possible de faire le bilan du progrès ou du recul matériels d’un pays donné, pendant la guerre ; de faire une large et complète synthèse de la vie économique nouvelle que le conflit européen a créée ; de mesurer le chemin parcouru par la science appliquée (la chirurgie de guerre, par exemple). Les faits, ici, sont tangibles ; les statistiques éloquentes, les conclusions nettes. Mais dans le monde moral, les choses ne se passent pas aussi simplement.

Et sans doute pourrait-on savoir, par des statistiques, sinon établies, du moins possibles, le chiffre de l’industrie du livre pendant la guerre et depuis ; et même