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LE BEAU RÉVEIL

une odeur rance de conserves avariées, de paille pourrie, de chaussettes humides, de rat, et de culots de pipe.

C’est dans cet antre que trois jeunes hommes, couchés côte à côte en face des joueurs de whist, prédisent, chacun selon son cœur et ses rêves, le monde nouveau qu’enfantera la guerre.

Celui-ci, — ça se voit à son front socratique — est un songe-creux : utopiste à outrance, dévoré, en sus, de rêves humanitaires et croyant de foi ferme au proche avènement de l’Âge d’or prédit par la « Sociale ».

— « Nous faisons la guerre à la guerre, dit-il, et nous la tuerons. Après celle-ci, il n’y en aura plus. Parce que bientôt il n’y aura plus de frontières. Ce sera la fraternité universelle !…

— « On la prépare mal », réplique un petit noiraud à l’œil vif, au geste nerveux.

— Attendez la fin, reprend le prophète. Les gouvernements ayant montré ce qu’ils valent, on les congédiera. Nous serons nos propres maîtres. Nous nivellerons. Ce sera la société parfaite, avec, comme seule religion, le culte de l’Humanité.

— C’est très vague, votre rêve, répond l’autre,… comme tous les mirages. Je n’attends point ce monde-là ; je ne le souhaite pas davantage. D’ailleurs, je n’attends rien, sinon la ruine, la faillite universelle. On finira de se battre… par inanition. Et après, ce sera une misère pire que celle-ci. Quand nous rentrerons — si nous rentrons — on nous applaudira d’abord ; puis on nous enviera non point nos misères souffertes, mais « notre bonne mine ». Bientôt on nous trouvera encombrants. On se débarrassera de nous. Nous serons « les victimes de la gloire ». Les bourgeois, eux, con-