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LA LITTÉRATURE ET LA GUERRE

Nous sommes au front de Flandre, en 1917, dans un de ces solides abris maçonnés de l’immense tranchée du chemin de fer qui balafre le paysage de Nieuport à Dixmude et au-delà. C’est la nuit… Du côté des Boches, la lune fait luire, comme des feuilles de zinc neuf, les nappes d’inondation, d’où émerge çà et là le poing brandi d’un tronc d’arbre mort, ou la blancheur anguleuse et fantômale d’une ferme en ruines.

C’est l’hiver… Sous leur tôle ondulée, les sentinelles battent la semelle et soufflent sur leurs doigts. Au loin, de temps en temps, une mitrailleuse tictaque, comme agacée ; des coups de fusil distancés trouent le silence d’un petit claquement ; parfois un bref sifflement saute par dessus le parapet et un glouglou d’un instant trahit, dans l’eau, le plongeon d’une balle perdue…

Dans l’abri, qu’éclairent deux ou trois bouts de chandelle collés au mur ou plantés sur une baïonnette fichée dans une poutre, quelques soldats vivent, relativement heureux… En voilà quatre assis, les jambes croisées à la mode arabe, sur la paille, l’attention rivée sur leur éventail de cartes ; sur la muraille badigeonnée, l’ombre de leurs silhouettes remue étrangement ; ils se parlent par monosyllabes. Le picolo et la misère sur table les préoccupe uniquement…

La fumée de tabac emplit le terrier exigu, où flotte