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LE BEAU RÉVEIL

roulées des fiers peupliers : tout un poème de clarté, d’ordre, de mesure, d’élégance et de noblesse.

La maison de campagne, assez vaste, mais sans prétention, serait aujourd’hui encore la demeure idéale rêvée par les poètes. Une authentique demeure normande, simple et jolie, et qui a cet air de distinction que nous nous sommes habitués à trouver aux choses du grand siècle. Les appartements, morts maintenant, et un peu froids à cause de leur apparence de musée, sont pleins de précieux souvenirs…

Je voudrais que mes compagnons se taisent ici, et me permettent de rêver… d’évoquer dans ce décor la vie calme du bon bourgeois de Rouen, du marguillier de Saint-Sever ; la vie intérieure, ensoleillée de grands projets et d’idées magnifiques, du créateur d’Horace et de Cinna ; la vie recueillie du pieux traducteur de l’Imitation

Mais le soleil nous rappelle dehors. Derrière la mare, des peupliers frémissent dans la lumière. Au milieu de la pelouse nous nous asseyons ; avec le plaisir naïf des admirateurs fervents (ou — qui sait ? — avec la vanité ridicule des touristes) nous couvrons de phrases pompeuses des cartes postales, appuyés sur la grande pierre bleue devant laquelle Corneille aurait écrit bien des pages immortelles !…

Il y a des monuments historiques qui satisfont, mieux que celui-ci, la curiosité des excursionnistes. Mais ce qui demeure de cette visite, c’est le regard et le geste de Corneille, plus vivants et plus parlants. Nous croyons que, de Corneille, la langue seule a vieilli un peu, non les idées, ni les sentiments. Sans doute, il est aujourd’hui bien des âmes veules, âmes de jouisseurs