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AU MANOIR DE CORNEILLE


Nous étions trois jeunes gens, vêtus de l’uniforme kaki de l’armée belge, qui parcourions la Normandie, en quête de beaux sites et de beaux souvenirs. Ce jour-là, nous étions partis d’Elbeuf pour visiter le manoir de Pierre Corneille à Petit-Couronne. Notre pèlerinage — car tous trois nous avons voué au poète du Cid un culte quasi religieux, — avait tout l’agrément d’une belle promenade, s’éclairait de toute la poésie du splendide été. Dans la forêt de la Londe, un large chemin méandrait, avec, à droite, l’ascension de hauts talus où commençaient à mûrir les noisettes, à gauche, la chute brusque d’un ravin profond où descendaient, en rangs serrés, des bataillons de pins et de chênes. Nous nous amusions à cueillir des fleurs champêtres ; nous nous précipitions sur de petits framboisiers qui offraient leurs beaux fruits pourpres et parfumés, et les ronces laissaient sur nos mains le pointillé rouge d’égratignures longues et fines. À La Bouille-Moulineaux, la Seine nous apparut, nappe frémissante de vif-argent, derrière l’élégant rideau de peupliers indispensable au paysage normand. Nous longeâmes le fleuve jusqu’à Petit-Couronne. Oh ! que Pierre Corneille fut donc bien inspiré de venir ici alimenter ses rêves ! Il lui suffisait d’écouter le conseil du paysage : — de ce fleuve puissant et tranquille sous le beau ciel bleu, de ces vertes prairies semées de bouquets d’arbres, de ces allées qu’accompagnent les bannières en-