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LE BEAU RÉVEIL

Deux de mes lettres restèrent sans réponse. Dans une lettre alarmée à son sergent que je connaissais, j’exprimai mes craintes : Notre poète serait-il blessé, tué ?… Dès qu’il eut appris ma peine, il me répondit : « Moi tué ? eh, que non ! Que je tombe un jour d’hiver, sous un ciel gris, que mon sang rougisse la neige ? Tu ne voudrais pas ! Cela ne cadre point avec mon âge, ni avec mon caractère, ni avec mes goûts. J’ai vingt ans ; j’aime la fraîcheur de la rosée sur les branches de lilas. Si je dois être frappé d’une balle, ce sera, bien sûr, un jour d’avril ou de mai, au bord d’un fossé verdoyant constellé de pâquerettes, parfumé de violettes. Et mon dernier regard pourra s’emplir des gloires du soleil levant. Oui, cher, il faut qu’il fasse beau le jour de ma mort, que l’azur soit sans nuages. Le ciel nous doit bien cette consolation !… » Et sur ce ton, la lettre continuait. Il aimait prendre, à ses moments, cet air espiègle et insouciant devant les questions très graves.

Je songeai à cette lettre de décembre 1917 lorsque, un mois après, son sergent me décrivait sa mort : « Or, la patrouille ayant été repérée, une vive fusillade crépita. Les balles trouaient, avec un petit glou-glou, l’eau, devant et derrière nous. Soudain notre ami, frappé en plein front, tomba à la renverse, dans la vase… La nuit était noire ; la pluie ruisselait de nos capotes… C’était infiniment triste… »

Nous n’avons pas retrouvé ses poèmes. Sa mort fut, comme eux, un acte très simple d’amour. Il s’était offert au Seigneur. Et sa vie a été un beau cantique.