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PARENTHÈSES

saient si souvent les avions. Les beaux jours d’été l’attendrissaient. Je l’entendis, une fois, murmurer le vers de Rostand : « Car ce jour est si beau qu’il fait songer aux morts. » Et je savais qu’il songeait aux morts, lui.

Il connut, au front, quelques jeunes littérateurs. Mais leur suffisance le dégoûta. Il avait en horreur l’  « homme de lettres ». À cette époque, il écrivit beaucoup. En de petits poèmes délicats, discrets, faits pour être chuchotés à mi-voix au crépuscule, il disait maintenant le bonheur des existences modestes et honnêtes, la joie des jardins presbytéraux qui sentent l’œillet ou la giroflée, l’intimité de la chambre d’étude, la pureté des aubes sur les vergers d’avril, les douceurs de l’amitié, les consolations de la prière. Cette fois, c’était son âme qui parlait. Et ce qu’elle disait était pacifiant comme une douce lumière de lampe voilée.

Il ne lisait ses vers à personne ; je fus le seul à les connaître. Ses compagnons de tranchée ont toujours ignoré qu’il écrivait. Mais on le savait épris de belle poésie. De poésie simple surtout. Il parlait de Lafon et de Gezelle avec amour, et il les faisait aimer. Un jour, je lui rapportai de C… les Géorgiques chrétiennes. Nous les lûmes ensemble, assis au bord d’un fossé, parmi les pâquerettes, sous le ciel bleu. « Ça me met du soleil dans l’âme », disait-il.

En février 1917, malade, je fus évacué sur un hôpital de l’arrière. Nous ne nous revîmes plus. Il m’écrivit alors de longues lettres. Puis sa correspondance s’interrompit brusquement, par suite, je le sus plus tard, de quelques changements survenus sur le front.