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LE BEAU RÉVEIL

mençait à le passionner, parce qu’il y trouvait une réplique à ses pensées. Quelque temps il s’égara dans le vague à l’âme et la mélancolie, si dangereux, auxquels sont exposés les jeunes gens trop sensibles qui manquent de direction ; et sans doute lui eussent-ils été funestes, si, suivant le conseil d’un prêtre, il n’eût réagi énergiquement.

Puis, un jour, — et ce fut pour lui une nouvelle révélation — il apprit que la Beauté est un reflet de Dieu, et qu’il faut aller à elle avec une âme pure, et qu’elle vaut bien qu’on se croise et qu’on s’arme pour elle. Il avait déjà acquis une certaine habileté dans l’art des vers. Il se débarrassait peu à peu du romantisme, des spleens littéraires et des sanglots conventionnels. Il commençait à être lui-même.

La guerre éclata. C’est alors que je le connus. Le journal intime qu’il rédigeait révélait un observateur et un peintre. Il composa quelques poèmes patriotiques qui ne manquaient point de souffle. Mais là n’était point sa voie. Il le comprit, — sur le front surtout, où il sentit l’ironie sacrilège des odes héroïques composées à l’arrière. Il descendit dans son cœur, et comprit la misère d’autrui par la sienne ; il apprit la pitié.

Il lui arrivait de méditer longuement. Ou bien, curieux, intrigué, il observait les choses et les gens, il regardait surtout le paysage, avidement, comme si, pressentant sa mort proche, il eût voulu emporter du spectacle de la Terre l’image la plus parfaite. Rien ne l’enchantait comme une nuit de lune aux avant-postes émergeant de l’eau, un lever d’aurore au-dessus des tranchées allemandes, un couchant derrière nos ruines. Rien ne l’émouvait comme un pied de coquelicots sur une tombe, ou une alouette dans l’azur où vrombis-