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LE BEAU RÉVEIL

d’un grand bouquin poudreux ouvert sur leurs genoux. Était-ce donc cela qui lui donnait cette émotion indicible ? Il avait l’impression que son âme s’ouvrait avec le frémissement soyeux d’une rose qui déploie, un matin de juin, ses pétales. Un souffle étrange l’avait effleuré. Ce poème était comme une missive de l’au-delà. Jamais plus il ne relirait ces vers sans être soudain replongé tout entier dans cette espèce d’extase. Mystérieux instant ! En y songeant on répète comme d’instinct la dernière strophe de ce providentiel poème :


Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,
S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes…

Il n’en faudrait point conclure que le jeune collégien venait de s’éveiller à la poésie. La beauté du monde passa devant ses yeux, pendant plusieurs années encore, en lui inspirant un vague désir, sans doute, mais sans lui arracher un cri d’admiration. Le don poétique, avec lequel je crois bien qu’il était né, sommeillait en sa subconscience. Une fleur croissait lentement, très lentement, avec un progrès imperceptible ; elle s’épanouirait un jour brusquement, sous un coup de vent, et non pas sous un baiser du soleil.

Il contait volontiers cette histoire… Un soir d’été, les élèves revenaient de promenade, harassés, mais joyeux encore. Il causait avec un ami, moins intelligent que lui, d’une sensibilité moins profonde, mais plus primesautière, plus spontanée, plus en dehors… Le soleil se couchait dans une gloire de rayons pourpres. Le long de la rivière, où des reflets rouges et