Page:Camille Melloy - Le Beau Réveil, 1922.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
PARENTHÈSES

des linières en fleur poussait ses vagues soyeuses jusque dans son âme, bleue elle aussi, mais avec des nuages tantôt blancs, tantôt roses, tantôt noirs, — déjà… Une inquiétude grandissait en lui, à mesure que s’éveillait sa conscience… Pour l’apaiser, il y avait les saluts des mois de mai fleuris de lilas, qui berçaient son rêve naissant et lui donnaient cette teinte de mysticisme qui s’accentuerait d’année en année. Jusqu’à sa mort il garda un souvenir si vif de l’ombre du pilier où il égrenait jadis dévotement son petit chapelet de verroterie, qu’il lui suffisait d’entendre le Salve Regina pour redevenir, en lui-même, le garçonnet au cœur parfumé d’innocence, à l’esprit tourné vers le large des choses éternelles.

Son père était un humble artisan. Quand l’enfant jouait au jardin ou suivait des yeux, dans le petit vivier de la cour, le jeu muet des poissons rouges, la chanson du père et ses coups de marteau lui apportaient une joie, l’environnaient de sécurité. Toujours lui en est demeuré le goût de « la vie humble aux travaux ennuyeux et faciles », le respect des mains calleuses du travailleur, l’amour des jolis métiers du village, et il lui a suffi de faire la connaissance des poètes

    meille coulait dans l’allée, sur la mousse. Il foulait de la gloire. « Les couchants d’octobre dans ces bois, me confia t-il un jour, furent pour moi la seconde révélation de la lumière, dont j’aie souvenance. De la première, j’ai gardé une image plus exacte encore. J’avais trois ans. Je relevais d’une maladie grave. Je me revois dans ma chambre, debout sur mon petit lit, en chemise, et ouvrant les bras à ma mère. Il faisait très clair et très gai ; ce devait être un dimanche d’été. Ma mère tournait le dos à la fenêtre ; elle me souriait dans ce cadre de lumière bleue. Et il me semble que j’ai embrassé alors ma mère et le jour, que je croyais voir tous deux pour la première fois. »