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LE BEAU RÉVEIL

pour lui, c’est une trompette. Le poète agit comme l’enfant… Il fait des châteaux en Espagne, — comme tout le monde, du reste ; seulement il les habite, et en cela il diffère de tout le monde. Il possède le gros diamant que la fée Bérylune donna à Tyltyl et à Mytyl, et qui fait voir la beauté des choses. Tout a gardé pour lui le visage primitif : la fleur, le rayon, l’astre, l’insecte, ont un sens et un langage qu’il comprend. Il voit les choses autrement que nous, c’est-à-dire qu’il les voit mieux ; c’est nous les myopes ou les presbytes. Il a les sens plus aigus : son âme y est, pour comprendre et spiritualiser : Ernest Hello raconte qu’un jour le bon saint Goar, absorbé dans ses pensées pieuses, accrocha son manteau à… un rayon de soleil. Eh bien, les poètes en font autant : ils y accrochent leur manteau, leur âme, leur vie. Et leur âme et leur vie s’imprègnent de soleil.

— Je sais : il y a des poèmes fort tristes, et Musset en connaît « d’immortels qui sont de purs sanglots ». Le poète, doué d’une sensibilité plus délicate, souffre plus intensément, comme il peut jouir davantage aussi. Mais ce lui est une indicible ivresse de pouvoir chanter sa souffrance, de la pouvoir convertir en divine harmonie. Parfois il s’en libère en la chantant. Le chant berce sa douleur et l’endort. Le vers en dessine, en lignes parfaites, l’attendrissante image qu’il gardera dans son souvenir apaisé. La composition du poème ne va pas, elle non plus, sans labeur. C’est un rude métier, quoi qu’on dise. Demandez cela aux plus grands, aux plus habiles même. Mais qui dira la joie profonde qu’on goûte à achever une belle œuvre, à la voir agir fût-ce sur une seule âme ?

Et puis, après tout, s’il leur plaisait, aux poètes,