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LÉO LATIL


Mes gestes et mes mots sont à vous, voyants.
Mais en ces gestes et ces mots
Je sens remuer quelque chose
Que toujours vous ignorerez
Et que je possède tout seul, tout seul…
Car je porte en moi la lumière.
Car la lumière n’est pas l’éclat frelaté de vos yeux, voyants,
L’éclat de tes facettes, verre,
La blancheur imbécile, lys,
La lumière, c’est ce grand frisson qui tord mes muscles et fait
Craquer mes os,
Qui tue mon cœur,
Qui fait jaillir mes larmes…
Car si vos yeux brillent, voyants,
Mes yeux pleurent.
Oh ! la lumière ! la lumière !…
Vos clartés miroitantes, impuissantes sont immobiles et figées,
Ce sont des mortes.
Ma lumière est un rythme immense et musical
Et qui grandit toujours, toujours, toujours…
Pour aller où ?
J’en ai l’angoisse.
Mais vous pouvez garder vos gestes et vos cris ;
Je les ai dépouillés !
Le grand frisson qui me secoue
M’emporte.
— Car je porte en moi la lumière !

(À un aveugle jeune et musicien,)
1910