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LÉO LATIL

jour n’engage pas l’autre. » — Tout y est : le trait définitif du portrait, le ton et le caractère. C’est parfait en trois lignes.

Voici encore trois tableaux, en des tonalités très différentes, mais également excellents, tant par la puissance de l’évocation que par la qualité de l’émotion :

1o « Nous avons traversé des bois jonchés d’arbres, des champs désolés, où les cadavres des soldats de la Garde sont encore étendus dans leurs belles capotes, leurs visages sans chair tournés vers le ciel, et, tout autour, des débris d’armes et d’équipement. »

2o « J’ai vu, dans une maison écroulée, dans une chambre comme suspendue, un petit lapin en peluche, à côté d’un chapeau de très petite fille recouvert de petites roses, et j’ai été tout ému. »

3o « Nous avons continué nos marches nocturnes vers l’ouest ; j’éprouve moins de fatigue ; je marche le nez levé vers le ciel étoilé, regardant chavirer les constellations. L’ami Bl… me récite, de sa voix chaude, des vers cornéliens, je m’endors quelquefois sur son épaule tout en marchant. Mon lieutenant me raconte des batailles de Napoléon ; on arrive à l’aube dans un village de la Meuse ; le régiment se répand dans les prés qui bordent la route… »

Sensation de vécu, sobriété, simplicité : qualités précieuses auxquelles on préfère trop souvent la luxuriante abondance de détails superflus, et la verbeuse rhétorique couvrant le vide des idées.

Mais la note la plus originale de ces lettres, c’est l’amitié sereine et fraternelle du poète avec la nature. « Vraiment il y a une sorte d’allégresse, écrit-il, à vivre familièrement, intimement avec la nature. » —