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LÉO LATIL

qu’apprend l’Évangile. Il appartenait à cette génération que Péguy a appelée la génération sacrifiée. « Sacrifiée, cela veut dire que, dès l’abord, elle acceptait ce sacrifice à quoi elle se sentait prédestinée »[1].

Désirer les sacrifices, aller au-devant d’eux ! La parole semble d’un ascète. Dieu sait pourtant comme ce cœur, si tendre et si aimant, a dû saigner ! On le devine un peu, par ce billet qu’il écrivit peu de jours avant sa mort : « L’heure est grave, je le sens. Il faut être prêt. Mon sacrifice m’est léger et facile, mais ce qui m’est intolérable, c’est de penser à la douleur des gens, surtout de mon père »[2]

La tendresse qu’il avait pour les siens, il la répandait aussi sur ses camarades et les hommes de sa section. Il a honte, écrit-il, d’avoir des avantages matériels que ses poilus n’ont pas ; il lui est pénible de dormir dans un abri pendant qu’ils prennent la garde dans la pluie… « Il y a des moments où je les envie. — Si je suis fier d’une chose après la guerre, ce sera d’avoir fait campagne pendant quatre mois comme simple poilu. » — Il s’apitoie sur leurs souffrances physiques : « Ce qu’il y a de plus pénible, voyez-vous, c’est de les sentir si fatigués, si las, et d’exiger d’eux, quand même, un effort encore. » Mais combien plus s’émeut-il de leurs misères morales : « À certains moments, on entrevoit un abîme de douleur. Quel autre abîme est nécessaire, de bonté, de pureté, de charité, pour combler celui-là ! » — Voilà où se révèle son ardeur d’apôtre, que la guerre n’a point attiédie, que le spectacle journalier des ignorances et des fai-

  1. Henri Massis. « Le Sacrifice. »
  2. La mère de Léo est morte depuis plusieurs années.