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FRANCIS JAMMES

et solides de la terre, grâce à une vertu agile qui nous échappe. Déjà cette goulée de ciel liquide ne rend plus le même son que dans la nuit. Il est une voix des fontaines, quand tout sommeille, qui n’a guère que deux notes parce que d’autres ne l’accompagnent pas sinon, au printemps, les plaintes du rossignol et, en été, le foissement des feuillages par les chouettes lourdes.

Il est une voix des fontaines quand s’éveillent les angélus, les oiseaux, les servantes et les étables, elle carillonne alors et gazouille et bavarde et agite ses chaînes d’argent. Il est une voix des fontaines quand il est midi, lorsque la cloche bénite reprend, poudrée de beau temps comme une campanule, lorsque le paysan fait la sieste, lorsque la poule se hérisse. Et cette voix alors tinte profonde jusqu’au cœur, ronfle et glousse. Il est une voix des fontaines, quand le jour finit et quand l’angélus s’aggrave encore, lorsque, après souper, la ferme offre à Dieu sa sueur sainte et lorsque les enfants déjà dorment. Cette voix alors vibre comme une faulx qui retombe, elle prie et respire.

« L’eau de cette fontaine n’est donc que lumière et chant, comme aussi, là-bas, ce sinueux vide : le gave. Il est juste de dire que le gave descend du ciel, de cette nappe dont les étoiles sont les sœurs des cailloux luisants et submergés. Le gave se pose, informe encore, sur la montagne aux neiges angéliques, dont la ligne est comme la signature de Dieu. Il bruine en chutant, plein de prisme, touche la terre inférieure, emplit de sa substance les lacunes des éboulis rocheux ; il grossit, s’alentit, s’avance après des lieues à travers cette plaine brodée d’or et de vert comme la robe d’Abraham dans quelque image. Et, de la hau-