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FRANCIS JAMMES


Ceux qui jugent ainsi sont injustes. Pourtant
Ils disent vrai s’ils nous appellent « regardants ».


Malheur à celui-là qui jamais ne regarde
Si l’année est mauvaise ou son mur se lézarde !


Et comment pourrions-nous sans souffrir gaspiller
Cet or dont chaque grain durement est payé ?


L’insouciant qui rit et dépense sans trève
Ne connaît pas le poids du sac que l’on soulève,


Il n’a pas, comme il dit, sans doute « regardé »
Un aïeul gémissant charger des chars de blé ;


— Quelques légers deniers tiennent en équilibre
Les lourds travaux des champs où la faucille vibre ;


Il n’en fallut que trente et Judas vendit Dieu,
Hélas, en balançant la terre avec les Cieux !


C’est pourquoi le Seigneur, de tout pardon avide,
Bénit avec son sang les hommes aux mains vides,


Et le pauvre, trouvé dans la neige à Noël,
Est entré de plain-pied au Royaume éternel ;


Maintenant j’ai testé, mais tu connais les charges :
Sache serrer ta main et l’ouvrir toute large ;


Parfois plus qu’un écu mal donné vaut un sou :
La monnaie dont le Christ nous rachète est un clou !

On se figure aisément quelles joies doit trouver autour de lui un poète pour qui toutes choses ont un prix et un sens éternel. Aussi bien, dans le lyrisme français, où Lamartine est le chant, Hugo le cri, Musset le sanglot, Verlaine le soupir, — Jammes est le sourire.