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LE BEAU RÉVEIL

comme Fabre : il la connaît en savant, et il l’aime en poète.

« Un des plus doux sentiments poétiques que j’aie éprouvés, — nous confie-t-il dans ses Mémoires, — après celui dont m’emplissait la contemplation des montagnes, fut le retour des troupeaux, lié pour moi au charme mélancolique de l’automne. Je n’ai jamais chanté les pasteurs et leurs ouailles sans que mon cœur fut ému comme un tremble. Toutes ces clarines m’étaient comme des oiseaux aux chants rauques cherchant un refuge dans mon âme qui devenait, à la Toussaint, une sorte de grange obscure qui eût voulu les abriter avec toutes les brebis du bon Dieu. Je n’aurais pas eu grand effort à faire pour me couvertir alors en bercail, étant déjà tout naturellement une arche de Noé. À quels animaux n’ai-je donné la chasse, construisant des pièges pour les attraper vivants, navré si leur sauvagerie ne répondait point à mon désir de m’en faire des amis qui partageassent ma joie, mes peines ? Hérissons, rainettes, geais, piverts, lézards, orvets, escarbots prenaient part à mon existence méditative[1]. »

Dans un très curieux chapitre sur « la charité envers les bêtes », il écrit : « Il y a dans le regard des bêtes une lumière profonde et doucement triste qui m’inspire une telle sympathie, que mon âme s’ouvre comme un hospice à toutes les douleurs animales[2]. »

« Ô poète, s’écrie-t-il, prends en ton âme, pour les y réchauffer, et les y faire vivre de bonheurs éternels, ces bêtes souffrantes. »

  1. De l’Âge divin à l’Âge ingrat.
  2. Le Roman du Lièvre. Des Choses, etc.