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LE BEAU RÉVEIL

À l’époque où cet écrivain débuta, Verlaine et Mallarmé étaient les dieux des esthètes. Jammes fut dès l’abord un disciple, — et le plus personnel, certes — de Verlaine. Or, la loi de Verlaine, s’il en avait une, était la sincérité. Et Jammes voulut que son art fut avant tout : sincère. Il choisit, dans ce but, « le langage de tous les jours, rehaussé simplement des belles images concrètes que suggère la nature ». Il trouve la poésie trop crispée : il la veut simple. Et il aboutit par excès de simplification, au même terme où vont atteindre les Mallarméens par excès de complication, c’est-à-dire au vers libre. Et quel vers libre ! Sans césure, sans rime, parfois sans assonance, avec l’hiatus pratiqué de parti pris ; un vers polymorphe ou plutôt amorphe, invertébré, parfois obscur, parfois prosaïque, et prodigieusement long ! Mais ne craignez rien ! Comme tous les brise-barrières, comme Moréas, comme Henri de Régnier, comme Verhaeren, il s’assagira en prenant de l’âge. Après avoir cassé les carreaux, il les remettra, l’un après l’autre. Progressivement il reviendra à la métrique essentiellement française, sans toutefois se soumettre jamais à ce qu’elle a d’étroit et de raide. Il maniera avec art et souplesse l’alexandrin dit familier, à coupes très libres, et où ne comptent que les syllabes que l’on prononce habituellement dans la conversation. Ce vers convient à merveille aux sujets qui lui sont chers, et au ton qui lui est naturel. Et quand il donne, en 1912, ses Géorgiques chrétiennes écrites tout entières en distiques dodécasyllabiques, il semble bien revenu définitivement aux lois de la prosodie traditionnelle.

Son alexandrin est devenu tel à peu près que nous le voulons tous à présent : assoupli, libéré, tel que