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FRANCIS JAMMES

faite de la naïveté d’un primitif et du raffinement d’un grand lettré ; car ce sont précisément les préjugés contre sa forme qui lui aliènent le plus de sympathies.

Le reproche de prosaïsme et de platitude qu’on fait à ses vers doit être, une fois pour toutes, réfuté : il provient, je crois, du préjugé pseudo-classique qui confond le sublime avec le pompeux, et fait de la poésie une simple mise en œuvre de clichés étiquetés poétiques et de rythmes consacrés par des siècles d’usage et d’usure. Or, l’art poétique n’est pas un art culinaire : Pourquoi reprocher à Jammes de n’avoir pas utilisé de vieilles recettes ? Car, au fond, c’est cela qu’on lui reproche. Les médiocres reprochent toujours aux poètes originaux leur originalité.

Vengeons l’originalité, puisqu’ici elle est de bon aloi. — Francis Jammes rehausse ses dons naturels par l’art le plus raffiné. « Il a l’air, en effet, dit un judicieux critique, d’écrire une langue qu’il n’aurait jamais vue écrite, et qu’il aurait seulement apprise sur les lèvres de sa mère, dans des baisers et des caresses ; et cependant il est aussi savant et aussi scrupuleux dans le choix des mots et la construction des phrases que le puriste le plus difficile : celui-là connaît bien le génie de la langue française ! Son style procède par touches légères, qu’on pourrait prendre pour de pures impressions ; en fait, ces touches sont choisies avec une sévérité de goût, avec un bon sens, avec une vérité qui leur donnent la solidité d’un dessein continu. L’ingénuité, le naturel de cet art sont l’effet du travail s’accordant avec la nature, non l’effet de l’ignorance et de l’improvisation[1]. »

  1. Fortunat Strowski.