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THÉODORE DE BÈZE
AU LECTEUR CHRÉTIEN
SALUT ET PAIX EN NOTRE-SEIGNEUR[1].

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S’il eût plu à Dieu nous garder plus longtemps son fidèle serviteur M. Jean Calvin, ou plutôt si la perversité du monde n’eût ému le Seigneur à le retirer si tôt à soi, ce ne seroit ici le dernier de ses travaux[2], èsquels il s’est tant fidèlement et tant heureusement employé pour l’avancement de la gloire d’icelui, et pour l’édification de l’Église. Et même maintenant, ce Commentaire ne sortiroit point sans être comme couronné de quelque excellente préface, ainsi que les autres. Mais il lui en prend comme aux pauvres orphelins, qui sont moins avantagés que leurs frères, d’autant que leur père leur est failli trop tôt. Cependant, je vois cet orphelin sorti de si bonne maison, grâces à Dieu, et si fort représentant son père, que, sans autre témoignage, il se rendra de soi-même non-seulement agréable, mais aussi très-honorable à tous ceux qui le verront. Et pourtant aussi n’a-ce pas été mon intention de le recommander par ce mien témoignage (car quel besoin en est-il ?), mais plutôt me lamenter avec lui de la mort de celui qui nous a été un commun père, et à lui et à moi, pource que je ne le puis ni dois moins estimer mon père en ce que Dieu m’a enseigné par lui, que ce livre, et tant d’autres, d’avoir été écrits par lui-même. Je me lamenterai donc, mais ce ne sera sans consolation ; car, ayant égard à celui duquel je parle, je l’aurois trop peu aimé vivant ici-bas, si la félicité en laquelle il est maintenant recueilli, ne changeoit la tristesse de ma personne en éjouissance de son gain ; et aurois mal fait mon profit de sa doctrine tant sainte et admirable, de sa vie tant bonne et entière, de sa mort tant heureuse et chrétienne, si je n’avois apprins par tous ces moyens à me soumettre à la providence de Dieu avec toute satisfaction et contentement. Or, quant à sa doctrine, de laquelle je veux parler en premier lieu, tant s’en faut que la multitude de ceux qui lui ont contredit la doive rendre suspecte envers toutes gens de bon

  1. Cette Vie de Calvin, que Théodore de Bèze avait composée sous la forme d’une préface pour la placer en tête d’une traduction française de l’ouvrage de Calvin : Commentarius in Josue librum, fut publiée séparément à Genève en 1364, in-4 et pet. in-s, aussitôt après la mort du chef de la Réforme, et l’année suivante, avec le Commentaire sur Josué, in-fol. On ne l’avait pas réimprimée depuis, excepté traduite en latin par l’auteur lui-même.
  2. Le Commentaire sur la Livre de Josué, en tête duquel cette Vie devait paraître d’abord.